En cette fin de mois d’Août j’ai eu l’opportunité d’aller « visiter » les environs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi et notamment les villes de Namie et Tomioka. Voici ce que j’ai vu sur place.
Avant 2011 personne, ou presque, parmi les non Japonais ne connaissait le nom de « Fukushima ». Aujourd’hui il est tristement célèbre à cause de la catastrophe nucléaire de Fukushima Daiichi, le nom de la centrale frappée par un tsunami le 11 mars 2011. Dernièrement, mon ami Fumito Sasaki, propriétaire de l’agence de voyage « Japan Wonder Travel » à Tokyo, m’a proposé de venir « tester » le tour pédagogique que son agence venait de lancer : visite des environs de la centrale nucléaire de Fukushima. J’ai accepté par « curiosité » et volonté de voir comment les choses sont réellement sur place, loin de ce que l’on peut voir habituellement sur tous types de médias.
Préambule …
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je veux clarifier certains points afin que vous sachiez à quoi vous attendre.
Tout d’abord, cet article parle de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi et de ses environs et de ce fait je ne parlerai pas de Fukushima. Pourquoi ? Parce que c’est un nom générique qui peut aussi bien désigner la préfecture de Fukushima (Fukushima-ken –福島県), qui est la troisième plus vaste du Japon (après Hokkaido et Iwate), mais aussi la ville de Fukushima (Fukushima-shi –福島市), capitale de la préfecture du même nom. Afin de ne pas faire d’amalgame entre les trois, je parlerai donc, bien sûr, de Fukushima Daiichi (福島第一) et j’éviterai de faire le raccourci, à conséquences négatives, que font souvent les médias.
Vous ne verrez aucune photo de moi en « mode selfie » parce que je trouve cela complètement déplacé. Je sais que la culture du selfie est importante de nos jours, mais je refuse de prendre et poster une photo de moi à proximité de la centrale avec un compteur Geiger à la main, même si cela génère du clic. Ce n’est pas une zone « touristique » dans le sens où l’on va la visiter pour en rapporter des souvenirs et montrer qu’on est allé sur place, c’est une zone où une catastrophe a pris place et où elle se déroule encore, on va sur place pour apprendre et comprendre !
Dans cet article je vais essayer, au maximum, de rester factuel. Je ne suis pas spécialiste en nucléaire et je ne peux, et ne veux pas, m’exprimer sur ce sujet tout simplement parce que je ne voudrais pas écrire de « conneries », qu’elles soient positives ou négatives. Je vous relaterai donc ce que j’ai vu sur place, à vous, par la suite, de vous faire votre opinion.
Enfin, en ce qui concerne le tour organisé par « Japan Wonder Travel », je ne dirai pas « je vous le recommande » ou « je ne vous le recommande pas », je préfère vous laisser choisir en tant qu’adultes et responsables. Ce n’est pas le genre d’activité que l’on recommande à la légère et je pense que chacun doit pouvoir décider par soit même sans être influencé par X ou Y. Mon récit de découvertes sera là pour vous montrer ce que j’ai vu sur place, ensuite à vous de voir si vous voulez aller voir ça par vous-même ou non.
Voilà pour ce qui concerne ce (long) préambule. Je vous propose maintenant de rentrer dans le vif du sujet.
Flashback … retour en 2011
Mars 2011, je suis au Canada, je termine tranquillement mon Working Holiday Visa sur place. Le 5 du même mois je suis rentré de Yellowknife, où j’ai admiré les aurores boréales pendant 3 nuits avec mon amie Aki. Le 14 je dois prendre la route pour un road trip qui va me mener à traverser le Canada d’Ouest en Est, puis les USA d’Est en Ouest. Et le 5 mai je dois prendre l’avion direction le Japon, direction Tokyo … tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Oui mais voilà. Le 11 mars, je suis à table, dans un restaurant de Davie Street à Vancouver, avec mes amis Jonathan et Thierry. La télé est allumée en fond et là, des images retiennent mon attention. Une eau couleur marron ravage une ville. Je regarde le texte sur les images et je vois qu’un tremblement de terre violent vient de frapper le Japon et qu’un tsunami est venu ravager la côte Nord-Est du pays.
Choqué, je commence à m’informer sur ce qui se passe sur place, notamment par l’intermédiaire de mon amie Aki. Et là, pour la première fois de ma vie j’entends un nom qui m’était inconnu et qui va me suivre depuis : FUKUSHIMA ! La centrale nucléaire de Fukushima Daiichi a été lourdement touchée et menace de faire des ravages sans précédent.
Malgré cela, malgré le fait que beaucoup d’étrangers fuient le Japon (il restait « seulement » 1.200 Français sur les 9.000 initialement présent avant la catastrophe), je prends quand même l’avion Air China le 5 mai 2011 depuis Los Angeles. Je fais mon escale à Pékin et j’arrive à Tokyo le 6 mai 2011 pour un an, avec un PVT Japon en poche … du moins à la base.
Depuis mon arrivée au pays du Soleil-Levant, le nom de Fukushima ressort régulièrement, souvent employé à tort. Je n’y ai donc jamais échappé. Mais depuis 2011, il s’en est passé des choses et on ne voit plus tant d’informations que cela sur ce qui se passe, non pas à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, mais dans ses environs.
En ce qui me concerne je me suis rendu à plusieurs reprises dans la préfecture de Fukushima, aussi bien dans la ville de Fukushima que dans d’autres villes ou lieux touristiques tels que Ouchi Juku. D’ailleurs, ma première fois dans la préfecture de Fukushima fut à l’été 2014, lorsqu’avec mes amis Charles et Abdel nous avons marché de Tokyo jusqu’à Fukushima à pied pendant environ une semaine.
Et là, c’était la première fois que j’allais entrer dans la zone, jusqu’à récemment, interdite, zone dite d’exclusion.
Quelques dates à connaître
Si vous cherchez des informations officielles concernant les dates essentielles à connaître sur la catastrophe de Fukushima Daiichi, vous pouvez consulter le site de la préfecture de Fukushima, en français / anglais, qui donne les informations à connaître et mises à jour régulièrement, notamment en ce qui concerne les décisions gouvernementales et les niveaux de radiations. Sinon voici quelques dates à connaître concernant les environs de la centrale de Fukushima Daiichi :
- 11 mars 2011 à 14H46 : le Japon est touché par le plus fort tremblement de terre jamais enregistré dans son Histoire.
- 11 mars 2011 : quelques dizaines de minutes après le séisme, un tsunami avec des « vagues » atteignant 40 mètres frappe les côtes Nord-Est du Japon, ravageant plusieurs villes. C’est là que la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi sera fortement touchée.
- 11 mars 2011 : un ordre d’évacuation sur un rayon de 3 km autour de la centrale est donné ainsi qu’un ordre de confinement sur un rayon de 10 km.
- 12 mars 2011 : l’ordre d’évacuation est élargi à 10 km puis 20 km autour de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi.
- 22 avril 2011 : 3 zones sont décrétées :
- « Zone d’évacuation désignée » dans les 20 km de la centrale
- « Zone d’évacuation replanifiée » incorporant des zones touchées par les radiations transportées par les vents
- « Zone de préparation à l’évacuation en cas d’urgence » dont l’ordre a été annulé le 30 septembre 2011.
- En 2017 : des villes, dont Namie, accueillent à nouveaux leurs habitants.
Le départ, tôt le matin depuis Tokyo
Rendez-vous est pris à 06H45 à la station de Tokyo avec l’équipe de « Japan Wonder Travel ». On se retrouve à être environ une vingtaine de personnes à participer à ce « tour pédagogique », de tous horizons.
Takuto, qui est en charge du tour, nous annonce qu’il faudra environ 3H30 de trajet pour arriver dans la ville de Namie et il nous montre un compteur Geiger avec le taux de radiation actuel à Tokyo, qui est de 0,12 microsievert par heure, ce qui semble être un chiffre (très) bas. On nous dit aussi qu’en-dessous de 0,40 microsievert par heure la vie est possible sans risque pour la santé. L’objectif sera de comparer les doses de radiation auxquelles ont sera exposés tout au long de la journée avec celle à laquelle on est exposé de manière quotidienne dans une ville comme Tokyo. Parce qu’il ne faut pas oublier que la radioactivité est invisible et présente au quotidien.
Tout au long du trajet, on nous donne des informations, des chiffres, des « anecdotes », … sur la situation dans les environs de la centrale de Fukushima Daiichi. On a ainsi appris que le prix du riz dans la préfecture de Fukushima a été « victime » de la mauvaise image véhiculée par le nom de la zone et a donc chuté de 30% mais aussi que peu de personne voulait l’acheter. De plus, suite à la catastrophe beaucoup de jeunes Japonais ont désertés la zone et ses environs pour se rabattre sur des villes comme Tokyo, Osaka, …
Le tour organisé par « Japan Wonder Travel » a été lancé en février 2018 par Takuto parce qu’il a vécu dans le Tohoku (région fortement touchée par le séisme et le tsunami de 2011) et qu’il voulait donner l’opportunité, aux personnes intéressées, de voir ce qui se passe réellement sur place. Le tout prend place 2 à 3 fois par mois de 08H00 à 20H00 environ. Il nous mène dans les villes de Namie et Tomioka, à la visite de la ferme de M. Yoshizawa (tristement devenu célèbre pour son combat quotidien suite à la catastrophe) et aussi à proximité de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi.
On écoute donc les premières informations lorsque l’on entre dans la préfecture de Fukushima. Là, le relevé de radiation sur le compteur Geiger indique 0,10 microsievert par heure soit moins qu’à Tokyo. On passe dans les environs de la ville de Hirono qui a été évacuée pendant un an environ, depuis 90% de la population est revenue sur place. Là, sur le côté de la route un panneau attire mon attention. Il indique des niveaux minimum et maximum de radiation compris entre 0,10 et 2,90 microsieverts par heure. Au moment de notre passage, à 10H00 du matin, il est à 0,11 microsievert.
On apprend que pour les villes de Okuma et Futaba on n’a pas le droit de sortir du véhicule parce que les radiations sont trop fortes et qu’il y a qu’une seule route qui passe par là, la route N°6.
On passe ensuite dans les environs de la ville de Nahara, à environ 20 km de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Elle a été évacuée pour 3 ans environ. Avant cela il y avait 9.000 habitants et maintenant ils ne sont plus que 4.000. Cette ville est importante, d’un point de vu symbolique, puisque c’est là que se trouve le J-village, grand lieu d’entrainement pour les footballeurs, notamment de l’équipe nationale du Japon, avec ses 11 terrains. Il a rouvert ses portes en 2017 et accueille à nouveaux les professionnels pour leurs entrainements. Pour la petite « anecdote », les 11 terrains d’entrainements ont servi aux personnes travaillant pour la décontamination de la région, pour venir se reposer et se changer. Par contre, les rizières de la zone sont, elles, encore en préparation afin de pouvoir à nouveau être exploitées à terme.
En tournant la tête sur la gauche et en regardant par la fenêtre je vois des « montagnes » de grands sacs noirs. C’est dans ces derniers que sont collectés les déchets radioactifs en attendant d’être déplacés on ne sait où, pour être enterrés. On continue de rouler quand, sur le bord de route, un autre panneau indique un taux de radiation de 0,04 microsievert par heure, jusqu’à ce qu’on approche de Tomioka où là, un énième panneau blanc indique un taux de 1,5 microsievert par heure. Je demande alors pourquoi un tel écart et on m’explique que c’est dû au fait que la zone est montagneuse et composée de beaucoup de forêts et que ce genre de zones est difficile à décontaminer parce qu’il faudrait le faire arbre par arbre. Puis, je vois encore un panneau blanc qui indique clairement qu’il est interdit de circuler ici à moto ou à pied à cause de la radioactivité.
Je regarde le compteur Geiger et je vois que l’on est à 0,42 puis d’un seul coup on bascule à 0,21 microsievert par heure. C’est fou ce que ça change sans cesse ! Pendant ce temps on passe du côté de la ville de Okuma, encore en zone d’exclusion, mais on apprend que les travailleurs sont en train de faire de leur mieux pour que la ville redevienne « habitable » d’ici à 2019.
Sur la gauche, on voit les grands pylônes électriques partant de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi pour, à l’époque, emmener l’électricité nécessaire à Tokyo. C’est par là, donc, que passait l’électricité produite, dont la capitale nipponne était la plus grande consommatrice. Et sinon, le paysage est souvent composé de hautes herbes, avec quelques habitations par-ci, par-là. Les rizières ont finalement disparu pour laisser place aux mauvaises herbes.
Il est 10H23, je regarde le compteur Geiger et on est à 0,52 microsieverts par heure. A 10H25 on entre dans Namie, qui a été « ré-ouverte » à ses habitants. A l’entrée de la ville, si on tourne sur la gauche (en direction de la ville de Fukushima) on passe par la partie de la ville qui est encore en zone d’exclusion. Si on tourne sur la droite (vers le centre-ville) on entre dans la zone habitable. Le niveau de radiation est à 0,16 microsievert à 10H35.
Visite de Namie
On est entré dans la ville de Namie, préfecture de Fukushima. Il est 10H30 passé, le niveau de radiation semble raisonnable, de toute façon on ne peut pas la voir à l’œil nu et on ne peut que faire confiance aux compteurs Geiger entre nos mains. On voit que des voitures sont garées sur le côté des maisons. Il y a donc de la vie ici. Sur la droite il y a quelques bâtiments temporaires où les locaux peuvent venir faire mesurer leur niveau d’exposition à la radioactivité
Sur la gauche je vois un Konbini Lawson. J’apprends qu’il est ouvert jusqu’à 18H00 du lundi au samedi. C’est la première fois que je vois un Konbini qui ferme aussi tôt (j’avais déjà vu des Konbini dans des « patelins » de Hokkaido qui fermaient de 23H00 à 05H00) et qui n’ouvraient pas le dimanche. Pourquoi ces horaires ? Tout simplement parce qu’ils sont faits en fonction des heures de présence des travailleurs en charge de la décontamination de la zone, principaux clients des quelques Konbini ouvert sur place.
Sur la droite il y a une station essence qui a ouvert ses portes un an plus tôt. Et le centre-ville de Namie semble être désert. A part une ou deux personnes, une ou deux voitures, on ne voit pas grand signe de vie. On est à seulement 15 km de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Ici, en 2011 il y avait 21.000 habitants, maintenant ils sont environ 600.
On arrive à la station de trains de Namie. Le niveau de radiation est de 0,24 microsievert par heure. En entrant dans la station, qui elle aussi semble déserte, on voit le panneau montrant les lignes de trains qui passent par ici et on constate, sur le plan, qu’il n’y a aucune desserte entre les villes de Okuma et Futaba car la radiation y est trop forte.
Aujourd’hui il y a environ 40 personnes par jour qui utilisent cette station, 4 pour le travail et 36 pour venir voir la situation de la ville. Avant l’accident nucléaire il y en avait environ 2.000 quotidiennement. Un sacré changement.
Direction l’extérieur de la station de Namie pour quelques dizaines de minutes et découvrir les environs. Beaucoup de bâtiments semblent abandonnés. Quand on regarde au travers des fenêtres on voit des scènes de vie figées dans le temps depuis le 11 / 12 mars 2011. Rien n’a bougé, le temps s’est figé, tout est chamboulé. Personne n’entre plus dans ces endroits.
Les habitants avaient jusqu’au 31 mars 2018 pour faire détruire leur maison aux frais du gouvernement japonais, depuis cette date ce sera à leur frais. Il faut savoir que la décontamination effectuée par les travailleurs ne concerne que l’extérieur des bâtiments, parce qu’ils n’ont pas le droit de rentrer dans les maisons, restaurants et autres édifices privés. De ce fait, les personnes qui viennent à nouveau vivre sur place doivent se débrouiller pour décontaminer l’intérieur de leur maison, mais comme elles ne connaissent pas les bonnes procédures, elles préfèrent la faire raser et reconstruire.
Au milieu de cela se trouve un bureau de poste qui a ouvert à nouveau, en 2017. Les sapeurs-pompiers, quant à eux, inaugurent un centre flambant neuf, non loin de la mairie, qui elle emploie 350 personnes.
Il est l’heure de prendre une pause déjeuner, dans la ville de Namie. En face de la caserne des pompiers se trouve un nouvel espace, visiblement temporaire, au sein duquel se trouve deux petits restaurants, deux boutiques de souvenirs (Omiyage) et un Konbini Lawson (lui aussi ouvert partiellement). Je prends juste le temps de manger un plat avant de faire un tour des boutiques et de parler avec les personnes qui y travaillent.
C’est certainement le moment du tour où j’ai appris le plus de choses, sur la vie au quotidien de ces personnes, dans cette ville de Namie. Les personnes qui sont revenues vivre sur place auraient une moyenne d’âge d’environ 60 ans. Les souvenirs vendus aux couleurs de Namie ne sont plus produits sur place mais dans d’autres villes ou à base de matières premières issues d’autres villes car il n’est plus possible de produire quoi que ce soit avec ce que la ville produisait auparavant.
C’est en entrant dans le deuxième magasin de souvenirs que j’ai compris à quel point la vie des locaux allait changer à jamais. Dans cette boutique il y a des photos de Matsuri (festival japonais) au mur. Ce Matsuri a une procession de Mikoshi en pleine mer. Sauf qu’aujourd’hui la mer est contaminée et risque de l’être pour de longues années encore car elle est proche de la centrale nucléaire Fukushima Daiichi. Ce Matsuri avait une longue existence et il ne pourra pas reprendre sa forme initiale. Etant donné l’âge des habitants aujourd’hui, il y a une forte probabilité qque ces derniers ne disparaissentt avant la radioactivité dans la mer environnante et donc avant la reprise de ce Matsuri. Et dans ce cas-là, il se peut que personne ne puisse passer aux prochaines générations les rituels de ce Matsuri ancien. Il disparaitra ainsi dans le temps, sans que personne ne s’en rende compte, dans le plus grand des silences. Il n’en restera que des photos !
Direction la ferme de Yoshizawa-san
Il est temps de quitter la ville de Namie, du moins son centre-ville, et de se rendre dans la ferme de Yoshizawa-san, non loin de là. Ce personnage est devenu célèbre après la catastrophe nucléaire de Fukushima Daiichi puisqu’il a commencé un combat qu’il mène encore aujourd’hui, qu’il mènera encore demain, contre le nucléaire, contre les conséquences du drame qui s’est joué et se joue encore aujourd’hui sur place. Dès l’entrée de sa ferme on peut voir une grande montagne des « célèbres » sacs noirs. On a pu l’écouter nous raconter son histoire et son combat. Poignant !
Lorsque l’ordre d’évacuation a été donné, beaucoup de fermiers sont partis pensant qu’ils pourraient revenir rapidement, mais ce ne fut pas le cas et leurs animaux, notamment les vaches, sont morts enchainés et ils n’ont pu que constater cela à leur retour sur place. Certains revenaient pour nourrir les bêtes dans ce lapse de temps.
En mai 2011, le gouvernement japonais a demandé l’exécution de l’ensemble des animaux de ferme à l’exception des animaux de compagnie tels que les chiens et chats, contre une compensation financière. Yoshizawa-san lui a refusé de suivre cet ordre et a gardé l’ensemble de ses vaches vivantes. Mais au bout de quelques mois certaines d’entre elles, à force de consommer de l’herbe et de l’eau contaminées, ont eues des taches blanches sur le corps.
Yoshizawa-san a alors demandé une étude au gouvernement japonais afin d’établir un lien entre la catastrophe nucléaire et l’état de santé de ses vaches. L’étude a été menée et le gouvernement a conclu qu’il était impossible de lier l’accident nucléaire de Fukushima et l’état de santé des vaches car il n’y avait aucun rapport de santé des vaches avant le 11 mars 2011. Pour Yoshizawa-san il s’agit là d’une vague excuse pour cacher les conséquences réelles de l’incident. Depuis, il se bat donc contre les politiques Japonais et est prêt à faire entendre sa voix autant que possible, notamment au travers de manifestations à Tokyo.
Une partie de son discours m’a marqué et a démontré une certaine rancœur qui visiblement est vivace chez certains habitants des environs. En effet, la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi est située dans la région du Tohoku mais l’électricité qu’elle produisait était essentiellement pour Tokyo (dont le tiers de la consommation était couverte par cette centrale). Depuis le 11 mars 2011, les habitants des environs de la centrale subissent quotidiennement les conséquences de l’incident nucléaire alors que les décideurs, qui sont basés à Tokyo, eux ne subissent rien. Il y a donc une certaine rancœur qui leur fait sentir qu’ils ont été abandonnés par ceux à qui ils fournissaient, auparavant, de l’électricité, que ceux-ci leur ont tourné le dos une fois le drame arrivé, comme un abandon de leur part.
Je regarde alors les vaches, prends quelques photos et je demande à Yoshizawa-san, avec une certaine stupeur, pourquoi ces dernières mangent des peaux d’ananas ? Il me répond que c’est ce qui lui coûte le moins cher tout en restant bon pour la santé de ses bêtes. Ce sont les mêmes vaches qu’il avait depuis 2011 et avant. Vaches dont il ne peut plus rien faire, ni exploiter le lait, ni la viande, ni rien, mais qu’il garde en vie car ce sont des êtres vivants et ses animaux de compagnie. Il n’est pas dédommagé par les autorités japonaises pour les garder en vie et tous les frais sont à sa charge. Cela fait donc 7 ans qu’il les nourrit de sa poche. Et je lui demande alors pour combien de temps encore il va devoir les entretenir. Il me répond qu’il faudra attendre encore environ 8 ans pour qu’elles meurent naturellement. Il les aura donc nourries, à sa charge, sans aucun retour financier, pour 15 ans, parce qu’il les considère comme ses animaux de compagnie et qu’il refuse de les exécuter.
Il est temps de quitter la ferme de Yoshizawa-san, avec un sentiment étrange .. lourd, très lourd.
Halte à l’école primaire de Ukedo
Quelques minutes plus tard on se retrouve en bord de mer. Là, le long de la plage un mur anti-tsunami de neuf mètres de haut est en cours de construction. Me vient à l’esprit la hauteur maximale des « vagues » dans les environs, qui étaient de 21 mètres, et je me demande donc l’utilité d’un mur de 9 mètres de haut face à un Tsunami de 21 mètres. On est à quelques kilomètres, à vol d’oiseau, de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. On est à 6 km de celle-ci et derrière les arbres, au fond, on voit le haut des grues qui travaillent sur l’édifice.
Ici, avant, se trouvait une ville, qui a été rasée par le Tsunami de 2011. J’avais fait du volontariat à Kamaishi en septembre 2011, je suis retourné à Kamaishi dernièrement et je peux vous affirmer que ce que j’ai vu en bord de plage à Namie n’a rien à voir avec Kamaishi. Dans cette dernière la vie a repris et les constructions ont bien avancées, alors qu’à Namie, en bord de mer, rien n’a été reconstruit.
Ensuite, on part marcher quelques centaines de mètres et on arrive devant l’école primaire de Ukedo. Elle se situe à seulement 200 mètres du bord de mer et a même pas 6 km de la centrale nucléaire. Aujourd’hui elle n’est plus en activité même si le compteur Geiger indique 0,11 microsievert par heure dans les environs. Elle est restée dans le même état qu’après le passage du Tsunami.
Le jour du drame les 77 élèves et enseignants de l’école ont pu partir en courant vers les hauteurs qui se trouvent à 1,5 km de l’école et se mettre à l’abri, sauvant tous leur vie. L’école est, elle, délabrée et à l’extérieur subsiste une horloge bloquée à 15H38. Le tremblement de terre a frappé à 14H46 ce jour-là, ce qui veut dire que le Tsunami est arrivé 52 minutes plus tard sur place. L’établissement scolaire est à seulement quelques encablures du port de pêche de Ukedo qui a lui reprit son activité. Sinon, la nouvelle école de Namie est ouverte et accueille aujourd’hui 18 élèves (primaire + collège).
Il est temps de reprendre la route direction la ville de Tomioka après cette halte.
Passage en bus à 3 km de la centrale de Fukushima Daiichi
Alors qu’on est dans le bus direction Tomioka, on apprend que la ville de Namie espère avoir 8.000 habitants d’ici à 2035 et que pour cela, afin de fournir du travail aux futurs habitants, ils veulent construire la plus grande centrale à hydrogène du pays en 2019. En 2017 la population locale était de 0 !
Alors que j’ai deux compteurs Geiger dans les mains et que l’on roule sur la route qui passe par Futaba, le niveau de radiation « s’enflamme » littéralement. On atteint 4,03 microsieverts par heure durant quelques secondes. J’ai juste eu le temps d’allumer mon appareil photo que le niveau commençait déjà descendre à nouveau. Cela n’a duré que quelques secondes mais ce fut intense, surtout avec l’alarme des compteurs Geiger qui s’enclenche dès que le niveau de 0,40 microsievert par heure est atteint.
Nous roulons sur la route Numéro 6, la seule pour Okuma et Futaba. Le gouvernement japonais recommande d’emprunter cette route le plus rapidement possible, sans s’arrêter et surtout sans sortir de son véhicule. Marcher dans les environs, faire du vélo ou circuler en moto est formellement interdit.
Malgré ces recommandations et ces interdictions, j’observe plusieurs travailleurs en bord de route en train de faire la circulation avec leur célèbre bâton lumineux que l’on voit souvent sur les chantiers au Japon. Mais, à part les camions il n’y a pas, ou presque pas, de circulation et je ne comprends pas trop le rôle de ces travailleurs en bord de route avec, ce qui semble être, un fort taux de radiation. Je demande donc des précisions sur leurs conditions de travail.
C’est là que j’apprends que ces personnes, travaillent 4 mois d’affilés avant de prendre 2 mois de repos consécutifs, à raison de 7 heures maximum par jour pour un salaire d’environ 15.000¥ par jour, ce qui est bien plus élevé que le salaire minimum pratiqué dans la préfecture de Fukushima et même dans l’ensemble du Japon (même pas 1.000¥ de l’heure – cf les salaires au Japon). Les 2 mois de repos consécutifs sont censés permettre à leur corps de ne pas être trop exposés aux radiations.
A peine l’explication terminée que l’on passe devant un magasin dont l’ouverture était prévue le 12 mars 2011, mais comme on peut le deviner, elle n’a jamais eu lieu. Et on arrive à Tomioka.
Visite de Tomioka
A peine arrivé sur le parking du supermarché du coin, qui est ouvert, Nakayama-san, une habitante de la ville nous rejoint pour partager avec nous son vécu et nous faire découvrir l’état de sa ville aujourd’hui. Pour la précision, Tomioka est localisée dans le Sud de Futaba-gun tandis que Namie est dans le Nord de Futaba-gun.
On apprend que les habitants n’ont pas vu l’accident nucléaire puisque la ville leur a demandé d’évacuer immédiatement, au contraire de Namie. Nakayama-san nous dit que la ville semble ne pas avoir été affectée par le drame puisque la radiation est invisible, mais Tomioka était vide pendant 6 ans.
Avant la catasprohe de Fukushima Daiichi, la population locale était de 16.000 habitants. Elle est aujourd’hui de 700 avec une moyenne d’âge de 70 ans environ ! Nakayama-san nous explique alors que les personnes qui ont jusqu’à 50 ans ont encore des enfants et ne veulent pas prendre le risque de les exposer à d’éventuelles radiations, ce qui explique qu’elles ne reviennent pas.
L’école qui a ré-ouvert au printemps 2018 sur place, avec ses 18 élèves, comptait auparavant 1.400 élèves.
La ville de Tomioka, au contraire de Namie, dispose d’un hôpital. De nouvelles maisons ont été construites, avec l’aide financière de l’état japonais, pour ceux ayant perdu leur logement lors du Tsunami de 21 mètres de haut, le plus haut de la zone, qui a fait 24 morts ou disparus ce jour-là. Le chiffre est resté relativement bas car des collines sont à proximités et ont permis aux locaux d’évacuer rapidement.
Lorsque l’ordre d’évacuation a été donné, les habitants pensaient partir pour 2 ou 3 jours seulement et ils ont donc laissé leurs animaux de compagnies sur place. Mais, rapidement, ils sont revenus les récupérer. Par contre, les rats sont eux restés et ont dévorés beaucoup de choses. D’ailleurs, les locaux disent souvent que de ce drame ils ont eu la pisse des rats, la radiation et la pourriture.
On marche dans une des avenues principales de la ville de Tomioka. Là les boutiques fermées sont légions. On y voit des produits datant de 2011 en vitrine ou à l’intérieur. Nakayama-san nous apprend que les pilleurs ont tentés, depuis le drame et aujourd’hui encore, de voler le contenu de plusieurs magasins à Tomioka mais aussi dans les autres villes touchées par la catastrophe nucléaire. Pour lutter contre cela, la police japonaise envoi des patrouilles de plusieurs villes différentes, à tour de rôle, pour une semaine, sur la base du volontariat. Lors de notre « visite » de Tomioka c’est une patrouille de la ville de Nara, avec leur voiture, qui veille au calme de la citée.
On termine ce tour en marchant le long des 20% de la Sakura-dori, la rue des cerisiers en fleur, ouverte, les 80% restant n’étant pas encore décontaminés. En cette année 2018, pour la première fois depuis la catastrophe, les locaux ont pu célébrer le Hanami le long de cette route, même si lors de la décontamination une bonne partie des branches des cerisiers a été coupée. Lorsque l’on arrive au bout des 20% de la route on voit des barrières qui empêchent à quiconque veut passer d’aller plus loin. Derrière ces dernières se trouve la zone interdite, celle qui est encore contaminée et le compteur Geiger nous le fait comprendre. Il ne cesse de bipper ! On y voit des habitations, un grand magasin de bricolage avec tous ses produits à l’intérieur, des voitures sur le parking, …. Un peu comme si la vie s’était figée le 11 mars 2011 et qu’elle n’attendait que de pouvoir reprendre son cours, ce qui ne sera pas le cas. La poussière et les hautes herbes ont bien pris possession des lieux, tout comme la radiation, mais elle, on ne la voit pas.
On finit par retourner au niveau du supermarché pour laisser Nakayama-san retourner à sa vie d’habitante de Tomioka. Alors qu’on va « ravitailler » au supermarché avant de reprendre la route pour rentrer à Tokyo, Fumito-san me montre un restaurant de sushi qui s’appelle « Atome Sushi » et m’explique qu’avant la catastrophe il était courant de voir des « businesses » avoir des noms faisant référence au nucléaire puisque la centrale est à proximité. Aujourd’hui c’est un peu comme un mauvais clin d’œil du destin, un vestige d’une époque où les locaux pouvaient être fier de leur centrale.
Et à la fin …
Le tour se termine, sur le parking du supermarché de Tomioka. Ma dernière photo sera celle du restaurant « Atome Sushi » avec un sublime coucher de soleil en fond, comme un signe, celui du nucléaire qui a fini par éteindre sa popularité dans la région.
Le tour fut intense, pas dans l’aspect physique mais plus dans l’aspect émotionnel. J’y ai découvert des choses que je ne soupçonnais pas. Même si je ne m’exprime jamais publiquement sur ce que je pense de la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, je n’en n’ai pas moins une opinion et je m’étais renseigné sur beaucoup d’aspects dans le temps, notamment grâce à mon ami Lucas co-auteur du documentaire « Fukushima, les voix silencieuses » qui a eu plusieurs nominations à l’International et reçu des récompenses.
Par exemple, je savais que les habitants des zones d’exclusions devaient quand même continuer à payer les impôts locaux sur leur logement dans la zone concernée. Ainsi, ils allaient habiter ailleurs et se retrouvaient à payer un double impôt local (dans la zone d’exclusion et dans leur nouvelle localité), ce qui peut, en parti, expliquer le retour de certains d’entre eux dans leur ancien logement.
Une fois de retour à Tokyo, Takuto-san nous montre le bilan d’exposition à la radiation pour la journée sur le compteur Geiger : 0,002 millisieverts et il compare cela à un vol Tokyo – New-York qui est équivalent à une exposition de 0,1 millisievert.
Quand on voit cela on peut se dire que l’exposition aux radiations pendant une journée n’est pas dangereuse pour la santé. Mais, comme l’un d’entre vous me la fait remarquer sur Instagram (et je l’en remercie), il y a plusieurs éléments ici qui ne sont pas pris en compte par ce relevé, même si cela n’aura pas un gros impact sur l’exposition finale, qui est vraisemblablement sans risque pour la santé.
N’étant pas expert en nucléaire il me sera difficile, voire impossible, de vous expliquer cela avec une pleine certitude donc je vais me garder de le faire. Par contre, il faut noter que la radiation est volatile et que les relevés que j’ai eu le jour de ma visite ne seront pas nécessairement les mêmes à un autre moment, même si la différence ne devrait pas être énorme. Enfin, je vous ferais remarquer, comme vous pouvez le voir sur mes photos, qu’il y a parfois des différences de relevés entre les compteurs Geiger.
Je ne dirais donc pas que « je vous recommande » ou « ne vous recommande pas » ce tour proposé par « Japan Wonder Travel », dans les environs de la centrale de Fukushima Daiichi. Mais ce que je vous dirais c’est que si vous décidiez d’y aller, prenez-le comme une opportunité d’apprendre et de comprendre ce qui peut se passer sur place et restez respectueux des personnes, des lieux, ne faites pas comme certains, ne rentrez pas dans les bâtiments, par exemple. N’oubliez pas que ces lieux appartiennent à des personnes encore vivantes qui vivent un drame.
Je serais ravi d’avoir votre point de vue sur ce tour, sur cette journée que j’ai vécu et votre ressenti ou même vos questions, même s’il y aura certainement des sujets sur lesquels je ne serais pas en mesure de répondre. Vous pouvez poser vos questions en commentaires voir même apporter des précisions, notamment sur l’aspect du nucléaire, si vous en avez.