L’état d’urgence a pris fin le 25 mai 2020 pour nous à Chiba, la préfecture voisine de Tokyo, après 48 jours de mise en place. Même s’il a été levé, la reprise reste lente après une telle expérience que je vous raconte ici.
Le 7 avril 2020, le premier Ministre Japonais Shinzo Abe, déclarait l’état d’urgence dans 7 préfectures du Japon (Tokyo, Chiba, Saitama, Kanagawa, Osaka, Hyogo et Fukuoka) puis il l’étendait à tout le pays le 16 avril 2020.
Le 14 mai 2020, le Japon levait l’état d’urgence dans 39 préfectures (sur 47) avant de le lever dans les 8 préfectures restantes le 25 mai 2020. A ce moment-là, avec moins de 900 morts sur une population de plus de 126 millions d’habitants, le Japon estimait avoir passé la première grande étape de la pandémie de coronavirus – Covid19 qui frappe le monde depuis quelques mois. Et nous, nous sortons, dans notre quotidien, de cet état d’urgence que nous n’avions jamais connu auparavant.
J’ai, personnellement, vécu cet état d’urgence en 3 phases bien distinctes et je vais essayer de vous les décrire au mieux ici.
1ère phase : une prise de conscience
Le 7 avril, au moment de l’annonce de l’état d’urgence, on s’y attendait puisque la rumeur circulait depuis plusieurs jours. On s’était préparé, avec ma femme, pour passer au mieux cette épreuve et essayer de réduire au maximum les sorties et les prises de risques inutiles.
Déjà fin janvier, j’avais senti que cette « épidémie », qui sera décrétée comme une pandémie le 20 mars 2020 par l’OMS, allait avoir un impact sur nos vies et qu’il fallait prendre quelques précautions. Devant la pénurie de masques qui commençait à se faire sentir, à plusieurs reprises, tôt le matin, j’allais faire la queue devant des drugstores, comme des dizaines de Japonais, pour acheter des masques. Ces magasins les mettaient en vente dès leur ouverture, un paquet par client et il fallait attendre environ 30 à 60 minutes devant la boutique. Ainsi, j’ai réussi à nous sécuriser un stock de quelques centaines de masques qui nous permettraient de tenir plusieurs mois à 3 (ma femme, mon enfant en bas âge et moi-même).
Une fois l’état d’urgence officialisé, nous avons pris un nouveau rythme de vie. Mon enfant, qui devait faire sa rentrée en école maternelle la voyait reportée. Au lieu de l’envoyer à la garderie je préférais donc le garder quotidiennement à la maison, d’où je travaille en tant que freelance au Japon. Ma femme, elle, devait continuer à se rendre à son travail à Tokyo, tous les jours du lundi au vendredi.
On a donc pris un rythme de vie où je restais à la maison avec notre enfant, évitant au maximum de sortir, si ce n’est une sortie au parc pour « bébé » une fois de temps en temps et quand il n’y avait personne dedans. Ma femme faisait les courses si besoin, après le travail.
On a passé cette première phase à beaucoup parler du coronavirus, à regarder les informations quotidiennement, voir les compteurs de personnes infectées et décédées, au Japon mais aussi dans le monde, monter en flèche. Je suivais la situation au Japon mais aussi en France et en Tunisie ; où j’ai de la famille, ce qui entraina pas mal de comparaisons et me faisait sans cesse me demander « mais pourquoi en France ça « explose » de la sorte et beaucoup moins au Japon ou en Tunisie ? ». Le coronavirus était devenu le quatrième membre de notre famille, invisible mais présent. On ne l’a pas côtoyé directement (à moins que l’on ait été asymptomatiques et qu’on ne le sache toujours pas) mais son esprit nous a côtoyé, hanté et s’est amusé à rythmer nos vies, les changer. Du moins, au moins pour les premières semaines de cet état d’urgence.
2ème phase : une normalisation de ce nouveau mode de vie
Plus nous avancions dans les jours du mois d’avril et plus notre nouveau rythme de vie devenait normal. On s’y faisait, on s’était adapté. Plus on s’approchait de la Golden-Week au Japon et plus nos sujets de conversations s’éloignaient du coronavirus et de la maladie qu’il cause, la Covid-19 !
Habituellement, pour la Golden-Week, avec ma femme, nous aimons partir voyager quelque part, au Japon où à l’étranger. En cette année 2020 on aurait dû passer quelques jours dans la ville de Setouchi(Okayama) avec notre enfant. Mais, à cause du coronavirus, on a annulé cela, bien évidemment. D’ailleurs, on a constaté, sur la NHK, que 95% des réservations de Shinkansen avaient été annulées pour suivre les recommandations du gouvernement japonais. Parce que oui, même si nous étions en état d’urgence, le Japon n’a aucun moyen légal pour forcer le confinement, au contraire de la France par exemple. Le gouvernement comptait donc sur le civisme des Japonais et ils ont plutôt bien suivi les consignes.
Cette année nous avons donc passé la Golden Week à la maison, à Matsudo – Chiba, en famille. Nous y avons aussi passé mon anniversaire et la fête des mères. Mais contrairement au début de l’état d’urgence, on ne parlait quasiment plus du coronavirus, nous ne prêtions presque plus attention aux statistiques et nous profitions au maximum de ces moments ensemble. Ma femme a pu commencer le télétravail à la fin de la Golden Week et cela nous a permis de nous adapter autrement.
On cuisinait ensemble, on s’occupait de notre enfant à tour de rôle, on discutait de tout et n’importe quoi et on travaillait autant que possible. On avait pris un nouveau rythme de vie. Mais même si une forme de routine était établie au sein de la maison, l’envie de reprendre certaines anciennes habitudes, celles de l’an 1 avant Coronavirus, nous titillaient de plus en plus.
3ème phase : une envie de reprendre un rythme de vie plus normal
C’est vers la mi-mai, quand le premier ministre Japonais Shinzo Abe annonçait la fin de l’état d’urgence dans 39 des 47 préfectures du Japon, que le bout du tunnel commençait à se montrer pour nous, mais seulement à se montrer, nous n’y étions pas encore. A partir de ce moment-là, on commençait de plus en plus à avoir envie de sortir, d’aller au restaurant, de voyager, de prendre le shinkansen, de dormir dans des ryokan, d’aller voir le Mont Fuji, de participer à des Matsuri, de se relaxer dans des Onsen … toutes ces activités que l’on faisait innocemment avant et qui aujourd’hui sont inaccessibles, du moins pour une période indéterminée.
Cette envie s’est installée et on a commencé à se dire « une fois que ça ira mieux on ira ici, et là, on fera ça, on mangera tel plat, dans tel restaurant, … » parce que c’est ce qu’on faisait avant et qu’inconsciemment ce serait une façon de se dire que la crise est passée.
Mais la réalité est là. Déjà, on est sorti de l’état d’urgence, dans la préfecture de Chiba, en dernier, le 25 mai 2020, parce qu’on est dans la préfecture voisine avec Tokyo et qu’à Kanagawa les chiffres n’étaient pas encore ceux espérés. Mais, on est quand même sorti de cet état d’urgence avec quelques jours d’avance puisqu’il avait été, initialement, prévu pour le 31 mai 2020.
Mais, même une fois l’état d’urgence levé on ne s’est pas précipité dans « notre vie d’avant », bien au contraire, et ce, comme pour beaucoup de Japonais. On a commencé à « sortir » sur des petites distances, en prenant un maximum de précautions (port de masque, gel hydro-alcoolique, distanciation sociale, …). Notre enfant a repris l’école seulement le 1er juin, à raison de 2 jours par semaine. Sa cérémonie de rentrée a été annulée et modifiée pour qu’elle s’adapte aux nouvelles normes sanitaires. Et comme elle, notre vie aussi s’adapte.
On est allé manger une fois dans un restaurant de sushi qu’on adore et qui a ré-ouvert ses portes avec un maximum de précautions. J’ai emmené « bébé » prendre le Shinkansen entre Ueno Station et Tokyo Station, parce que ça lui manquait (bébé adore les trains) et vu qu’il n’y avait personne dedans le risque était très faible. On est, aussi, allé visiter un appartement parce qu’on aimerait déménager.
Maintenant, ce n’est plus tant les statistiques de personnes contaminées et décédées que l’on surveille, même si on les regarde de temps à autres, mais plutôt toutes les mesures qui sont prises pour relancer l’activité économique du pays et le tourisme au Japon, secteur dans lequel j’exerce mon travail. On observe, on attend, on fait des projections et on reprend un autre rythme de vie, une vie moins ralentie que pendant la première et la deuxième phase de cet état d’urgence, mais une vie tout de même au ralenti.On ne vit clairement plus comme avant et ce qui est le plus difficile c’est de n’avoir aucune visibilité sur le futur, même proche. Mais on s’habitude et on fait avec, en se disant qu’on est en bonne santé et que cela reste le principal.
Voilà, pour l’essentiel, comment nous avons vécu ces 48 jours d’état d’urgence au Japon. Maintenant tout se fait par étapes et on suit les consignes des autorités en espérant que tout aille pour le mieux. Et vous, comment vous l’avez vécu ce confinement et / ou état d’urgence ?